Un peu de psychologie ne peut pas faire de tort - Musée McCord
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Alexander Henderson, Les préparatifs en vue du portage, rivière Rouge, Québec (détail), 1863-1865. Don de E. Dorothy Benson, MP-1968.31.1.163 © Musée McCord

Un peu de psychologie ne peut pas faire de tort

Ou comment l’observation de photographies à travers le prisme de la psychologie permet d’émettre des hypothèses sur leur signification.

Lorsque j’examine un portrait dans la collection de photographies du Musée, je me demande qui était cette personne; quelle a été sa vie. Je pense ici aux portraits d’inconnus ou de gens sans notoriété, dont on sait peu de choses. Je suis à l’affût des signes qui pourraient me servir d’indices pour imaginer une histoire personnelle. Chaque portrait peut être le début d’une enquête. Cet intérêt pour l’individu lui-même pourrait-il venir de mes études en psychologie?

Avant de me lancer en histoire de l’art, j’avais atteint un niveau avancé en psychologie expérimentale, m’intéressant à la genèse de l’intelligence, à l’apprentissage, au sommeil et aux rêves. Je crois que les connaissances acquises par des études ou par des expériences marquantes influencent l’interprétation que chacun fait d’une image. Si un psychologue se concentre sur les processus cognitifs et affectifs qui sont en jeu dans la création d’un portrait, peut-être qu’un sociologue s’interroge d’abord sur le contexte social d’une photographie; qu’un historien y recherche un témoignage ou l’attestation d’un fait; et qu’un philosophe s’efforce de définir la nature de la photographie en tant que représentation visuelle.

Je ne connais personne, quelle que soit sa formation, qui n’ait pas été, un jour ou l’autre, fasciné par une photographie. Pour interpréter celle-ci, nous pouvons faire appel entre autres à notre expérience ou à des notions acquises lors d’études antérieures. Ainsi, pour moi, le concept d’adaptation est particulièrement inspirant. Prenons le cas d’un immigrant, photographe amateur, qui tente de s’acclimater à son nouvel environnement, disons William Notman (1826-1891) ou Alexander Henderson (1831-1913), deux jeunes Écossais venus s’installer au Canada vers 1855. Leurs photographies, réalisées sur une longue période, dénotent-elles un processus d’adaptation?

Selon le célèbre psychologue suisse Jean Piaget (1896-1980), l’adaptation se fait en deux étapes, soit l’assimilation et l’accommodation. Selon ce modèle, l’immigrant procédera d’abord par assimilation, c’est-à-dire que les nouveautés seront perçues selon ses propres schèmes culturels. Autrement dit, il verra son environnement à travers le prisme de sa culture d’origine. Il transformera la réalité plutôt que ses modes de penser et d’agir. Graduellement, il s’accommodera, à savoir qu’il changera lui-même en fonction de son milieu d’adoption.

Observe-t-on chez Notman ou chez Henderson un phénomène d’adaptation en termes d’assimilation et d’accommodation? Leurs photographies témoignent-elles d’une première attitude qui consisterait à voir le Canada à travers des idées et des attentes forgées dans leur pays d’origine? Peu à peu, ne voit-on pas leur vision devenir de plus en plus canadienne, manifestant ainsi leur adaptation?

Ces questions venues de la psychologie ont une valeur dans la mesure où elles me servent à émettre des hypothèses sur des photographies en contexte d’immigration. Mais, il me reste également de la méthode expérimentale l’exigence de les critiquer rigoureusement, voire de les mettre en doute selon un esprit scientifique.