« Comment ça s’appelle? » : un projet de normalisation terminologique - Musée McCord Stewart
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Centrifugeuse fabriquée à la manière de l’abbé Jean-Antoine Nollet, 1770-1800. 1983.26.25, Musée McCord Stewart

« Comment ça s’appelle? » : un projet de normalisation terminologique

La refonte de la section Collections en ligne a nécessité la révision et la traduction de milliers de noms d’objets, de quoi en perdre son latin!

Maude Pelletier, auparavant recherchiste, terminologie, Musée McCord

26 mai 2022

Cette année, le Musée McCord concrétise un projet d’envergure en inaugurant une version améliorée de la section Collections en ligne de son site Web. Ce travail, qui s’est échelonné sur plus d’un an, a permis de synchroniser le logiciel de gestion des collections actuellement utilisé par le Musée, The Museum System (TMS), avec l’application Web eMuseum, qui diffusera dorénavant les œuvres en ligne.

Ce changement sera profitable à la fois aux chercheurs et à l’équipe du Musée McCord, car il permettra d’optimiser la recherche en ligne tout en rendant plus efficient le processus de versement et d’édition des données muséales.

Bien que d’un point de vue externe, la validation de termes puisse paraître très simple, il s’agit d’un processus long et méticuleux qui se déploie en de nombreuses étapes et qui sollicite le travail de plusieurs personnes au Musée.

Le travail débute par l’extraction, à partir de TMS, de listes d’objets pour chacun des corpus à examiner. Ces listes prennent la forme de très longs tableaux Excel – parfois de plus de 7 000 lignes! – dans lesquels on reportera les classifications et les termes préférentiels suggérés pour chaque objet par le thésaurus Nomenclature, l’outil de référence privilégié par l’équipe du Musée McCord.

Exemple de nomenclature pour le terme « Accordéon », comportant trois niveaux de classifications et trois niveaux de termes. © Rowman & Littlefield et Gouvernement du Canada, Réseau canadien d’information sur le patrimoine.

Une première révision est effectuée par Geneviève Déziel, catalogueure, puis une deuxième par le conservateur ou la conservatrice responsable de la collection en question. S’ensuit une discussion sur les cas plus problématiques pour s’assurer que les termes choisis sont conformes non seulement aux normes muséales, mais aussi au vocabulaire déjà utilisé dans les collections du McCord. La balle est ensuite relancée à Christian Vachon, chef, Gestion des collections, afin qu’il intègre dans TMS les termes finaux destinés à la section Collections en ligne.

Des études de cas au cœur de la collection scientifique du Stewart

Choisir des noms adéquats pour les objets peut comporter quelques défis, notamment lorsqu’on a peu d’informations à leur sujet ou, à l’inverse, lorsqu’ils possèdent plusieurs fonctions et qu’il faut les classer à un seul endroit dans un thésaurus. La contribution des conservateurs au processus de normalisation est d’autant plus importante qu’ils connaissent les termes les plus utilisés dans la littérature pour des objets précis.

Comme l’affirme Geneviève Déziel, ce n’est pas parce qu’un terme est approuvé dans un thésaurus que ce sera nécessairement le plus utilisé dans la littérature. En fin de compte, tout est pensé pour assurer le respect de l’intégrité de l’objet et de sa culture d’origine, et pour qu’il soit facile de le retracer lors des recherches. C’est quand même le but de la mise en ligne et de la diffusion de nos collections : que les artefacts soient accessibles, ajoute Geneviève.

Le premier corpus à traiter pour ce projet de normalisation était celui des objets scientifiques du Musée Stewart, aujourd’hui préservé dans les réserves du Musée McCord. Comme le catalogage initial des objets avait été fait en français, les noms devaient être non seulement révisés, mais aussi traduits en anglais. Cette liste comportait plusieurs instruments inventés par l’abbé Jean-Antoine Nollet.

Né en 1700 à Pimprez, en France, l’abbé Nollet consacra une grande partie de sa carrière à la recherche et à la vulgarisation scientifiques. Reconnu entre autres pour ses nombreuses conférences et ses Leçons de physique expérimentale, un ouvrage en plusieurs volumes publiés entre 1743 et 1764, il conçut, seul ou avec l’aide d’artisans, plus de 350 appareils de démonstration uniques permettant d’illustrer à son auditoire des principes de physique particuliers.

Pascual Pedro Moles d’après Maurice-Quentin de La Tour, Portrait de Jean-Antoine Nollet, 1771. 1995.125, Musée McCord Stewart

Au moment de commencer la révision, la base de données ne comportait pas encore de photographies des instruments de l’abbé Nollet. De plus, étant donné la pandémie, l’accès aux collections et aux archives demeurait plutôt restreint; difficile, donc, de savoir à quoi ils ressemblaient. Les seules informations que l’on possédait sur les objets se trouvaient dans TMS. Tirées d’un ouvrage faisant l’inventaire des appareils de l’abbé Nollet, elles fournissaient plusieurs détails sur leur fonctionnement. Or, la singularité de ces objets est telle qu’il est difficile de bien saisir leur usage sans formation en sciences. Geneviève se souvient des difficultés que cela a posées :

Je ne suis pas scientifique, donc ça demandait beaucoup de recherches uniquement pour connaître le champ d’études de l’objet, parce qu’à défaut de lui donner un nom parlant, il fallait au moins que la classification donne de l’information sur l’objet.

Pyenson, Lewis et Jean-François Gauvin (dir.)., L'art d'enseigner la physique : les appareils de démonstration de Jean-Antoine Nollet, Sillery, Septentrion, 2002, 218 p.

À titre d’exemple, parmi les objets de la collection, il y en avait un nommé « Machine pour l’étude de la multiplication des leviers ». Bien que son nom semblait refléter sa fonction précise, il était nécessaire de le remplacer par une appellation plus brève et plus générique afin de le rendre accessible au grand public. À défaut d’avoir une compréhension éclairée de l’objet, on a opté pour « Instrument d’étude mécanique » qui, au final, est bien représentatif de son usage et de la branche scientifique à laquelle il appartient.

Dans le cas d’un « Appareil pour l’étude de la force centrifuge liquide », on a choisi un terme qui se rapportait davantage à son fonctionnement mécanique en le rebaptisant « Centrifugeuse ». Enfin, pour un objet autrefois appelé « Œil artificiel », on a voulu mettre de l’avant son usage pédagogique en utilisant plutôt « Modèle éducatif ». Bien sûr, dans les années à venir, ces appellations pourront toujours être modifiées si des recherches approfondies sur ces objets nous permettent de trouver des noms plus appropriés.

Grâce à ce travail d’équipe, on aura donc trouvé des noms qui respectent les normes muséales tout en rendant justice à la fonction des objets de collection. Mais la collaboration ne s’arrête pas là : comme Nomenclature est un thésaurus collectif, alimenté par des milliers de chercheurs provenant de différentes institutions panaméricaines, une banque de près de 300 termes à ajouter ou à modifier dans le répertoire sera soumise par le Musée au Comité sur Nomenclature à la suite de cette première phase du projet de normalisation.

Quelques mois après leur changement d’appellation, une petite recherche dans les archives a permis de trouver des images de ces mystérieux appareils de la collection du Musée Stewart. De magnifiques objets qui, même révélés au grand jour, attisent toujours la curiosité!

RÉFÉRENCES

Nollet, Jean-Antoine, Leçons de physique expérimentale (7e éd., 6 v.), Paris, Durand, 1784.

Pyenson, Lewis et Jean-François Gauvin (dir.), L’art d’enseigner la physique : les appareils de démonstration de Jean-Antoine Nollet 1700-1770, Sillery, Septentrion, 2002, 218 p.

Auteure

Maude Pelletier, auparavant recherchiste, terminologie, Musée McCord

Maude Pelletier, auparavant recherchiste, terminologie, Musée McCord