Les jardins de jadis et d’aujourd’hui - Musée McCord Stewart
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Photographe inconnu, Enfants posant avec la récolte, Fort Vermilion, Alberta, vers 1922. Don de Stanley G. Triggs, MP-0000.25.403, Musée McCord

Les jardins de jadis et d’aujourd’hui

Marchés publics, agriculture de subsistance et grandes surfaces. Découvrez comment l’offre alimentaire a changé au fil des siècles.

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

11 juillet 2022

Un ciel bleu, des enfants, des boîtes et des sceaux débordant de patates, de choux, de courges et d’autres légumes. Une photo colorisée sur le thème de l’abondance. Des fermiers maraîchers qui posent fièrement près de leurs belles récoltes avant d’aller les vendre au marché.

DÉLICIEUSE ABONDANCE

Il y a quelque chose de joyeux dans chacune de ces images tirées des collections du Musée, de festif dans cette délicieuse abondance. L’essence du marché public, où chaque année les maraîchers viennent vendre le fruit de leur labeur, c’est tout autant la richesse des produits agricoles que la rencontre entre les humains qui s’en régalent et ceux qui les ont chouchoutés pour les rendre bien dodus et colorés.

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Beaucoup de choses ont changé depuis le siècle dernier dans notre rapport à l’alimentation. Mais le regain de popularité des jardins pendant la pandémie, et le bonheur que l’on ressent toujours à découvrir l’offre extraordinaire des marchés publics nous ramènent à un plaisir très ancien, celui du contact étroit avec le fruit de la terre et ses artisans.

JOUR DE MARCHÉ

Au cours du dix-neuvième siècle et d’une bonne partie du vingtième, les jours de marché voyaient déferler à Montréal des chariots tirés par des chevaux chargés de légumes. Une foule animée envahissait le marché Bonsecours et la place Jacques-Cartier dès les petites heures du matin.

On peut imaginer le brouhaha de cette cohue baignée de la lueur de l’aube et mille odeurs qui se mêlent étrangement. On entend les chevaux hennir, les talons claquer sur les pavés, les clients négocier et les fermiers vanter à pleins poumons les mérites de leurs produits frais. Le marché était alors le cœur bruyant, odorant, mais surtout vivant de la ville.

NÉCESSITÉ PUIS AGRÉMENT

À Montréal, les communautés religieuses ont été pendant longtemps des exemples d’autosuffisance. À quelques coins de rue du marché, une tout autre ambiance régnait au Séminaire de Saint-Sulpice où, dans le plus vieux jardin privé d’Amérique du Nord, on cultivait une diversité de fruits et de légumes.

Plus à l’ouest, les Sœurs grises entretenaient de vastes jardins où poussaient une grande variété de légumes et des petits fruits qui constituaient un élément essentiel de leur alimentation. Longtemps, jusqu’au 20e siècle, Montréal était parsemé de jardins de subsistance et de fermettes qui permettaient aux citadins de se nourrir avec une relative autonomie.

L’aménagement des jardins était le fruit d’un savoir centenaire. De génération en génération, on partageait en effet l’art d’agencer les plants pour éloigner les insectes ravageurs et maximiser la croissance – un travail artisanal méticuleux et passionné.

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ILLUSION D'ABONDANCE

S’ils entraient dans une de nos épiceries grande surface, nos aïeuls seraient sans doute ébahis de découvrir la variété de produits frais et l’avalanche de fruits et de légumes exotiques. Mais parcourir un catalogue de graines et de semences datant de 1936 de la compagnie William Ewing Limitée conservé dans les archives du Musée pourrait susciter chez nous un étonnement aussi grand.

On y trouve non pas des fruits du dragon, des papayes ou des mangues, mais plutôt 11 variétés de concombres, quatre d’épinards, 13 d’oignons, 10 de radis et bien plus encore. La description qui accompagne chacune de celles-ci m’amène à rêver de carottes rondouillardes ou de radis longs en essayant d’imaginer leur goût comme peut-être mes ancêtres celui d’une orange.

L’offre dans les épiceries d’aujourd’hui est différente de celle de jadis, car elle découle d’une nécessité différente : la rentabilité. Certes nous avons des avocats et des oranges 365 jours par année, mais où sont passés les radis noirs d’Espagne et les carottes demi-longues de Nantes? Où sont les Chalk’s Early Jewels, ces tomates hâtives à la chaire foncée? Où sont les plantes fourragères, les oignons Southport Yellow Globe et le melon de Montréal, jadis si célèbre?

Photographe inconnu, Melons de Montréal, Ferme Benny, chemin Upper-Lachine, Montréal, vers 1930. Don de la succession de J. R. Beattie, MP-1989.27.3.21, Musée McCord

En effet, jusque dans les années 1930, Montréal avait son propre melon. Semblable à un gros cantaloup, mais à chair verte et au subtil parfum de muscade, il était très populaire auprès des restaurants et des hôtels américains qui l’importaient en grande quantité. Aujourd’hui, peu de gens savent que ce melon a existé et encore moins se souviennent de son goût.

À mon épicerie locale, chaque légume n’est offert qu’en une seule variété, et on soupçonne que souvent, celle-ci a été choisie davantage pour ses qualités de préservation que pour la délicatesse de son goût. Malgré tout, et quoiqu’on ait malheureusement tendance à l’oublier, les marchés publics montréalais sont encore bien vivants.

Du marché Jean-Talon au marché Atwater, il est encore aujourd’hui possible de se lever à l’aube pour aller à la rencontre d’agriculteurs d’ici remplissant leurs étals de produits fraîchement cueillis.

Michel Élie Tremblay, de la série Marché Atwater, Montréal, 1972. Don de Michel Élie Tremblay, M2019.71.55, Musée McCord

Les cageots de bois ont été remplacés par des barquettes de plastique, mais l’essentiel demeure : il est encore là, le plaisir précieux de la rencontre et de l’abondance.

À propos de l'auteur

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

Alexis Curodeau-Codère, journaliste indépendant

Après avoir étudié en arts visuels et en philosophie, Alexis Curodeau-Codère s’emploie, partout où il peut, à étudier, explorer et illustrer, à coup de portraits et d’images, la réalité humaine et la joliesse du monde. Il s’intéresse particulièrement au potentiel transformatif du récit par son rôle social et politique, mais aussi comme outil de vulgarisation et d’apprentissage.
Après avoir étudié en arts visuels et en philosophie, Alexis Curodeau-Codère s’emploie, partout où il peut, à étudier, explorer et illustrer, à coup de portraits et d’images, la réalité humaine et la joliesse du monde. Il s’intéresse particulièrement au potentiel transformatif du récit par son rôle social et politique, mais aussi comme outil de vulgarisation et d’apprentissage.