La Dominion Corset fait scandale, 1949 - Musée McCord
en
Lettre adressée à Pierre Amyot, de la Cie Ltée Dominion Corset, 23 février 1949. Don de la Société en commandite Canadelle, Collection Costume, mode et textiles C609, M2012.92.934.226 © Musée McCord

La Dominion Corset fait scandale, 1949

Au milieu du 20e siècle, la compagnie de lingerie Dominion Corset est visée par une campagne de moralité pour ses publicités jugées provocantes.

CAMPAGNE DE MORALITÉ

La période suivant la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) est marquée par des tensions entre un désir de libération morale et une volonté de retour à la normale et à la vie domestique après les bouleversements et les excès du conflit.

Montréal, « ville ouverte » réputée pour son nightlife étourdissant, mais aussi pour ses nombreuses maisons de jeu et de prostitution, est agitée par des campagnes de moralité ciblant tant le dévergondage des mœurs que la corruption présumée de la police et des politiciens, qu’on accuse de complicité avec le crime organisé.

C’est le point culminant d’un effort de moralisation plus large à l’échelle de la province, piloté par l’Église, mais souvent animé par des laïcs, qui s’attaque à toutes sortes d’enjeux comme l’alcool, la tenue vestimentaire, les loisirs des adolescents, etc.

On s’inquiète notamment depuis la guerre de la prolifération des publications érotiques, dont les fameuses pin-up, images coquines de jolies femmes mettant en valeur leurs courbes voluptueuses, tolérées durant le conflit pour le courage qu’elles donnaient, disait-on, aux soldats risquant leurs vies pour la patrie. Le scandale redouble lorsque des publicitaires commencent, à la fin des années 1940, à s’approprier ce langage visuel afin de mousser la vente de certaines marchandises.

Une compagnie de sous-vêtements féminins de Québec, la Dominion Corset, se retrouvera prise dans la tourmente en 1949. Un dossier d’archives conservées au Musée McCord révèle que cette grande entreprise est alors la cible d’une campagne de protestation à cause de publicités jugées trop suggestives affichées dans les autobus et les tramways de Montréal et de Québec. Cette correspondance fascinante de près de quatre-vingts lettres permet de documenter les protestations citoyennes et cléricales, mais aussi les réponses de la compagnie face à la colère manifestée.

LA PROTESTATION MONTE

Peu avant Noël 1948, le directeur de la Canadian Street Car Advertising Co., Ltd. écrit à Mgr Albert Valois pour se plaindre que des cartons publicitaires affichés dans les transports en commun sont vandalisés par des gens qui y apposent des collants – probablement pour les censurer. Mgr Valois, directeur du Comité diocésain d’Action catholique qui supervise à Montréal la campagne de moralité, lui répond que si « en général votre compagnie s’efforce de ne permettre dans [ses] annonces que des gravures vraiment morales », celle-ci pose véritablement problème : « Le modèle illustré a beau être complètement vêtu, il est suggestif et la compagnie Ronalds Advertising Agency of Montreal ne peut pas dire que j’ai approuvé ce dessin ».

Les choses semblent en rester là jusqu’en février 1949. Le 14 de ce mois, un citoyen de Québec écrit à la Dominion Corset pour se plaindre d’une « annonce de bandeaux Cordtex avec fille en gilet jaune, exposée dans les autobus du Québec Power ». Le gérant de la publicité qui lui répond semble prendre son indignation un peu à la légère et reprend l’idée que l’annonce aurait été approuvée par Mgr Valois. Mis au courant, ce dernier écrit à la compagnie, visiblement irrité, et bientôt des lettres de protestation commencent à fuser de partout, de Québec, mais surtout de la région de Montréal.

Les protestataires, souvent des femmes, font valoir leur pouvoir en tant que consommatrices et leur intention de se faire respecter. Le 28 février, la Fédération des dames de Sainte-Anne du diocèse de Montréal rappelle à la Dominion Corset que :

« C’est au nom de 33,000 dames que nous écrivons. Elles seront toutes averties de nos démarches auprès de votre Compagnie. »

Le même jour, les membres de l’œuvre Notre-Dame de la Victoire de Montréal précisent qu’il s’agit ici non seulement de défendre la décence, mais le respect de la femme :

« La femme qui se respecte ne se présente jamais dans cette tenue en public et elle n’aime pas à ce qu’on l’expose ainsi à la vue de tous les regards, même de ceux des trop jeunes. »

Lettre d’Irène Cloutier à la Compagnie Dominion Corset, 28 février 1949. Don de la Société en commandite Canadelle, Collection Mode, textiles et vêtements C609, M2012.92.934.217 © Musée McCord

LA COMPAGNIE CÈDE À LA PRESSION

La multiplication des lettres semble bientôt inquiéter la Dominion Corset. Celle-ci entre en contact avec Mgr Valois, s’efforçant de démontrer à l’évêque auxiliaire son entière collaboration. Le 9 mars, le gérant du personnel envoie une note de service très détaillée au sujet de la campagne de moralité au gérant général Pierre Amyot. On y apprend notamment que la campagne contre la Dominion Corset aurait été lancée par la Ligue catholique féminine et qu’elle s’inscrit dans un mouvement nord-américain.

Certains passages de la note font sourire : au terme de ces pourparlers avec l’autorité ecclésiastique, il semble qu’« on approuve entièrement l’idée de présenter des bustes peints en bleu ou vert, toute couleur qui élimine la pensée de la chair »!

Devant l’ampleur de la contestation, la compagnie décide bientôt de faire marche arrière, et donne l’ordre de faire retirer les panneaux controversés.

Lettre de Gaston Villeneuve à Irène Cloutier, 2 mars 1949. Don de la Société en commandite Canadelle, Collection Mode, textiles et vêtements C609, M2012.92.934.218 © Musée McCord

APRÈS LES MENACES, LES FÉLICITATIONS

Une fois la décision de la compagnie annoncée, plusieurs protestataires prennent soin de réécrire à la Dominion Corset pour exprimer leur gratitude et récompenser la vertu.  Le 18 mars, la présidente de l’œuvre Notre-Dame de la Victoire écrit que ses membres « apprécient hautement votre geste de collaboration à la campagne de moralité de Québec et de Montréal ». Elle ajoute :

« Soyez assuré, cher Monsieur, que je profiterai de toutes les occasions pour souligner cette louable attitude de la Compagnie, qui, je l’espère, en sera largement récompensée par un accroissement de sa clientèle. »

Le 25 mars, le conseil d’administration de l’Assistance maternelle de Montréal affirme quant à lui qu’une « compagnie qui a le courage d’agir ainsi, mérite qu’on s’en souvienne ». Et les membres de la Jeunesse indépendante catholique féminine de Montréal « [promettent] à votre compagnie l’encouragement de toutes nos amies ».

Le ton de plusieurs de ces lettres indique que ce revirement est savouré comme une victoire par les militantes. Selon le comité montréalais de la Ligue indépendante catholique féminine, ses membres se disent « heureuses de savoir que notre requête a été bien accueillie et elles applaudissent avec joie à tout travail entrepris pour faire respecter la femme. […] nous espérons que vous continuerez, dans votre publicité, à collaborer avec ceux qui se dévouent pour conserver à la femme toute la dignité et le respect auxquels elle a droit ».

Lettre d’Angéline Provost à Pierre Amyot, 25 mars 1949. Don de la Société en commandite Canadelle, Collection Mode, textiles et vêtements C609, M2012.92.934.280 © Musée McCord

EFFET SUR LA PUBLICITÉ

Mais quelle était donc cette image controversée qui fit tant scandale? Celle-ci ne figure malheureusement pas dans ce dossier de correspondance ni dans la Collection Mode, textiles et vêtements dont il fait partie, et nous n’avons pas encore réussi à la retrouver ailleurs. Cependant, si l’on examine la publicité de la Dominion Corset dans les journaux avant et après la campagne de moralité, on devine l’influence de cette dernière.

Image de gauche: Control with Comfort!, publicité de la Dominion Corset, Sherbrooke Daily Record, 25 octobre 1948, p.9. Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Image de droite: Look to NuBack for Figure Fit with « Action Back » for Comfort », publicité de la Dominion Corset, Sherbrooke Daily Record, 15 février 1949, p. 9. Bibliothèque et Archives nationales du Québec

La publicité qui paraissait à l’automne 1948 présentait un modèle dessiné dans la tradition de la pin-up : jeune femme au regard séducteur et complice, dans une posture mettant ses courbes en valeur. À partir de février 1949, l’annonce devient plus sage, mettant en scène des modèles plus élancés, dessinés de plus loin et de façon moins réaliste, certains détournant le regard. La pudeur avait vaincu… mais pour combien de temps?

POUR EN SAVOIR PLUS

SOURCES

Le dossier de correspondance qui a servi de base à cet article se trouve dans Collection Mode, textiles et vêtements (C609) des Archives textuelles du Musée McCord, à la cote C609/A2.5. On peut le consulter en prenant rendez-vous au Centre d’archives et de documentation du Musée.

Valois, Mgr Albert. « Il doit y avoir des limites… », L’Action nationale (mars 1946), p. 241-244.

ÉTUDES

Laboratoire d’ethnologie urbaine de l’Université Laval, sous la direction de Jean Du Berger et Jacques Mathieu, Les ouvrières de Dominion Corset à Québec, 1886-1988, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1993, 148 p.

Lapointe, Mathieu, Nettoyer Montréal. Les campagnes de moralité publique, 1940-1954, Québec, Septentrion, 2014, 395 p.

Namaste, Viviane, Imprimés interdits. La censure des journaux jaunes au Québec, 1955-1975, Québec, Septentrion, 2017, 240 p.

Rutherford, Paul, A World Made Sexy. Freud to Madonna, University of Toronto Press, 2007, 371 p.